Textures nanométriques de type vortex comme sondes de la ligne critique dans les verres de spin réentrants

Nicolas MARTIN – Université Paris-Saclay, CNRS, CEA, Laboratoire Léon Brillouin

Les verres de spin (SG, pour « spin glass ») sont des alliages magnétiques dilués dont le comportement est dominé par le désordre et la frustration d’interaction. Leur étude mobilise des efforts théoriques conséquents depuis plusieurs décennies et a conduit à des développements spectaculaires dans divers domaines de recherche, tels que le deep learning, les neurosciences ou la dynamique des fluides. Le prix Nobel de physique 2021 a d’ailleurs été décerné à Giorgio Parisi, en hommage aux concepts déduits de l’étude de certains modèles de SG qui sont à la base de notre compréhension actuelle des systèmes complexes.

Un article récent s’intéresse aux alliages amorphes de formule (Fe1-xMnx)75P16B6Al3 -dits verres de spin « réentrant » (RSG)- dont le diagramme de phase concentration-température (x-T) est présenté sur la Fig. a. La frustration est ici pilotée par la distribution des couplages magnétiques entre ions premiers voisins : ferromagnétique (FM) pour les paires Fe-Fe et Fe-Mn, antiferromagnétique (AFM) pour les paires Mn-Mn. Dans le cas faiblement frustré (x < 0.36), deux phases mixtes apparaissent à basse température dans le secteur FM, en accord avec les théories de champ moyen à portée infinie. En particulier, la phase M2 présente des propriétés macroscopiques semblables à la phase SG « canonique » stabilisée pour x > 0.36. Une question naturelle concerne la différence entre les structures magnétiques des phases M2 et SG, étant donné que la première cohabite avec un état FM sous-jacent tandis que la seconde apparaît dans un régime où aucun ordre à longue portée ne peut s’établir.

Textures nanométriques de type vortex comme sondes de la ligne critique dans les verres de spin réentrants

La diffusion des neutrons aux petits angles (DNPA) est dédiée à l’étude d’objets dont la taille caractéristique se situe dans la gamme ≈ 1-100 nm. Elle permet ici d’observer la signature de textures chirales, semblables à des vortex quasi-bidimensionnels, induites sous champ magnétique au sein de la phase M2 (Fig. b). Leur rayon moyen (1-10 nm) est déterminé par l’inverse de la position du pic de diffusion dû aux corrélations de l’aimantation dans le plan perpendiculaire au champ appliqué. Cette quantité est décrite par des lois d’échelles avec un exposant « universel », montrant que la taille de ces textures est pilotée par le rapport du champ appliqué sur l’échange FM moyen (Fig. d).

En revanche, ces structures disparaissent dans la phase SG, comme conséquence de la perte de rigidité du « vide » magnétique (Fig. c). Autrement dit, elles sont un reflet de l’état fondamental du matériau et permettent potentiellement d’en sonder les propriétés de manière fine, sur une échelle d’espace encore peu explorée. Des simulations Monte Carlo permettent en outre de montrer que le degré de frustration d’échange entre premiers voisins est effectivement l’ingrédient principal permettant l’émergence de ces textures. Elles révèlent que les défauts vus par DNPA sont ancrés autour des paires d’impuretés AFM (zones entourées en jaune sur les Figs. e,f), ce qui explique leur extrême robustesse vis-à-vis du champ appliqué.

Textures nanométriques de type vortex comme sondes de la ligne critique dans les verres de spin réentrants

Cette étude ouvre la voie à une meilleure compréhension des RSG, tout en appelant à approfondir leur étude expérimentale et numérique. Notamment, le rôle des anisotropies sur la morphologie des textures de type vortex, leur impact sur le transport électrique et la nature de la dynamique de spin proche de la ligne de transition M2 → SG restent à élucider.

Article original: Field-induced vortex-like textures as a probe of the critical line in reentrant spin glasses, N. Martin, L. J. Bannenberg, M. Deutsch, C. Pappas, G. Chaboussant, R. Cubitt & I. Mirebeau, Scientific Reports 11, 20753 (2021)

Les expériences décrites dans cet article ont été réalisées sur les instruments PAXY (LLB) et D33 (ILL), ainsi que sur la plateforme PPMS (Quantum Design, Dynacool 9T) du LLB. Ce travail est le fruit d’une collaboration entre le Laboratoire CRM2 de l’Université de Lorraine, la Technische Universiteit Delft et le LLB.

Sur le même sujet: Spin textures induced by quenched disorder in a reentrant spin glass : Vortices versus “frustrated” skyrmions, I. Mirebeau, N. Martin, M. Deutsch, L. J. Bannenberg, C. Pappas, G. Chaboussant, R. Cubitt, C. Decorse & A. O. Leonov, Phys. Rev. B 98, 014420 (2018)

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